La gratuité aux origines des transports en commun
Si la ville préindustrielle connaissait des offres de transport desservant son territoire, comme des fiacres et des carrosses, ce n’est qu’en 1826 à Nantes qu’ouvre le premier service répondant aux critères définissant ce qu’est un transport en commun : desserte régulière d’une ligne et coût fixe. Mais avant de se stabiliser ainsi, ce service a été préfiguré sous une forme où la gratuité a tenu un rôle important.
Des bains publics aux omnibus
Stanislas Baudry, propriétaire d'une minoterie dans le quartier de Richebourg, entendait tirer profit de la pompe à feu qui en assurait le fonctionnement, en créant un établissement de bains chauffés par la vapeur. C'est pour s'assurer de la venue d'une clientèle nombreuse qu'il créa un service de diligences urbaines gratuites depuis la place du Port-aux-Vins, l'actuelle place du Commerce, jusqu'aux bains. Et de façon inattendue, il s'aperçut que les Nantaises et Nantais n'utilisaient pas ces Voitures des bains de Richebourg pour profiter de son établissement mais seulement pour le transport qu'elles offraient.
Il décida alors de reconvertir son activité, en fermant les bains et en maintenant une ligne de transport public, devenue payante, puisque désormais autonome. Le nom de ce nouveau service pourrait d’ailleurs être hérité de l’enseigne d'un chapelier, nommé Omnès, dont la boutique se serait trouvée à proximité du départ des diligences et dont l'enseigne affichait une devise latine de circonstance : Omnes, omnibus. Formule que l'on peut traduire par « Omnès, pour tous ».
Le terme, correspondant pleinement à l'idée d'un transport universel, fut adopté à Nantes, avant de connaître la fortune que l'on sait.
La gratuité au cœur du processus d’innovation
Que dire de la gratuité dans cette histoire ? Elle a joué un rôle de révélateur de la demande latente de mobilité qui touchait une agglomération dont les dimensions et la démographie s’accroissaient peu à peu. Appuyée sur la consommation d’un service de bains publics, elle a permis d’identifier un besoin existant et a incité Stanislas Baudry à une reconversion rapide vers une activité qui semblait plus prometteuse et qui le conduisit, dès 1828, à lancer les premiers omnibus parisiens.
En outre, cette gratuité ne paraît pas avoir été conditionnée trop fortement à la consommation du service de bains publics, si bien qu’elle a permis une évolution des pratiques, de celles et ceux qui se déplaçaient, qui se sont mis à utiliser un service collectif, comme de l’entrepreneur, qui a fini par changer de secteur d’activité.
Dans ce cas historique, la gratuité se trouve donc au cœur du processus d’innovation qui a débouché sur l’émergence des transports collectifs urbains à Nantes (1826), Paris (1828), Londres (1829) et New York (1830).
Arnaud Passalacqua
Arnaud Passalacqua est historien, et professeur en aménagement de l'espace et urbanisme à l’École d'urbanisme de Paris. Co-président de l’Observatoire, il s’intéresse aux enjeux des mobilités dans notre société contemporaine en s’attachant aux systèmes qu’ils constituent, formés d’artefact matériels comme d’imaginaires et de savoirs, inscrits dans le temps long des usages et des matérialités.